Je vous propose une réflexion sur l’empathie aujourd’hui pour deux raisons. La première est que c’est l’une des soft skills dont j’ai parlé dans mon précédent article, et je trouve pertinent de creuser ce qu’est au juste l’empathie, mieux la définir et la caractériser. La seconde est que c’est un sujet « tendance » notamment depuis que l’on a découvert les « biais » de l’empathie, dont certains conduisent à la manipulation, alors que l’empathie bénéficie généralement d’une connotation largement positive.
Enfin, on peut se demander ce qu’il en est dans l’entreprise, dans les relations sociales, les interactions, et plus particulièrement dans la pratique du management.
Sur le premier point, l’empathie en tant que soft skill.
En liminaire, ce petit rappel que le Forum Economique Mondial la positionne au sixième rang des dix soft skills estimées nécessaires à l’horizon 2020[1]. Intuitivement, peut-être l’aurions-nous pensé « mieux classée » tant l’empathie est valorisée et bénéficie d’une sorte d’aura positive aujourd’hui. D’abord parce que l’on sait bien qu’elle sert à tisser une connexion sociale. Puis, parce qu’elle facilite les relations interpersonnelles, ainsi que la coopération, et se trouve à l’origine de comportements prosociaux d’aide[2]. Bref, c’est un mécanisme qui produit du lien. Nous en avons besoin, pas plus pas moins aujourd’hui qu’hier. Sauf, peut-être qu’aujourd’hui l’on sait mieux que le soutien social permet de lutter contre le stress pathologique. Pour toutes les raisons énoncées ci-dessus, l’empathie bénéficie d’une connotation largement positive, voire d’une valorisation sociale. C’est plutôt un compliment de dire de quelqu’un qu’il en est pourvu.
Pour Daniel Goleman, docteur en psychologie, l’empathie est une composante de l’intelligence émotionnelle (parfois nommée « interpersonnelle »), il la définit comme « la perception des émotions d’autrui ». Le Larousse comme « la faculté intuitive de se mettre à la place d’autrui et de percevoir ce qu’il ressent ». Ces notions différencient l’empathie en deux types :
- L’empathie affective : capacité à identifier les émotions d’autrui, par exemple grâce à la lecture des micro expressions du visage (apparaît chez l’enfant vers l’âge d’un an[3] quand il capte les mimiques)
- L’empathie cognitive : capacité à reconnaître le ressenti de l’autre, à se mettre intellectuellement à sa place (vient plus tard, vers l’âge de 4 ans et demi, lorsque l’enfant comprend que l’autre a une vie mentale différente de la sienne).
Le cumul des deux aboutit à une empathie dite « mature » qui indique la capacité à « se mettre émotionnellement à la place de l’autre ».
Enfin, sachez que des études montrent que les femmes sont davantage dotées d’empathie que les hommes et que l’empathie est en partie génétique, pour 10 % nous disent les résultats de plusieurs études. Pour le reste, l’empathie se construit dans la sphère sociale, dans l’éducation, et au gré des expériences de vie. Il existe donc des degrés d’empathie différents d’un individu à l’autre, déplaçant le curseur sur un axe passant par la sympathie, la compassion, l’altruisme …. et même, à l’extrême, jusqu’à la détresse émotionnelle.
Il s’agit donc d’équilibrer l’empathie « affective » et l’empathie « cognitive » de sorte de reconnaître et réguler ses propres états émotionnels, et de répondre à ce que l’on perçoit chez l’autre de façon appropriée. L’idée est de se préserver d’une contagion émotionnelle, au risque, sinon, de se laisser submerger. La question serait dès lors « savez-vous reconnaître dans quel état émotionnel vous êtes ? ». Puis ensuite de réguler l’impact des émotions sur les pensées et les comportements.
L’autre risque, dont on ne se rend pas compte bien souvent, est celui de penser à la place de l’autre « ce que je crois déceler chez l’autre est ce que je ressens moi-même »[4].
Mais ce n’est pas le seul danger… il existe des « biais » et ce sera l’objet du second point.
En effet, l’empathie constitue un outil de manipulation pour des personnes mal intentionnées et bien sûr pour les psychopathes (dont on pensait jusqu’à il y a peu de temps qu’ils en étaient tout simplement dépourvus).
Le manipulateur a beau jeu d’utiliser sa capacité empathique cognitive pour détecter ce que ses propos déclenchent chez l’autre. A partir de quoi il échafaude une stratégie. Par exemple, il joue un rôle et montre telle ou telle facette de son personnage aux personnes qu’il sent « touchées affectivement » pour arriver à ses fins.
Sans aller jusqu’à de telle situations, il est clair que comprendre l’autre peut être instrumentalisé pour servir ses propres intérêts et que celui qui est doté d’une forte empathie affective peut devenir une proie facile. Et là le risque deviendrait de réprimer ses émotions en voulant les cacher à d’éventuels prédateurs. D’ailleurs, pour beaucoup, montrer ses émotions n’est-il pas considéré comme une faiblesse (qu’il faut justement cacher. Bon, il est vrai que ce n’est pas la seule raison de réprimer ses émotions….).
Mais laissons de côté, ce triste aspect et retenons juste que, oui, cela existe.
Maintenant, dans l’entreprise, et plus particulièrement pour le manager dont on dit habituellement qu’il oscille entre « la tête » et « le cœur », qu’en est-il ?
Sur ce sujet, à mon niveau, plus de questions que de réponses, et c’est ici que, vous, chers lecteurs, vous entrez en jeu :
- L’empathie aide-t-elle à améliorer sa communication ?
- Permet-elle de ressentir les « ambiances », les « atmosphères » ?
- Y a-t-il des différences en fonction du genre H/F ?
- L’empathie aide-t-elle à passer du management au leadership ?
- Le manager peut-il échapper à la dimension émotionnelle, notamment dans le processus décisionnel (en balance avec le rationnel)
- Où en est-on dans les représentations « femme : social, bien-être, rapports sociaux » et « homme : ambition, compétition » ?
[1] Résolution de problèmes complexes, pensée critique, créativité, gestion des personnes, coordination avec les autres, intelligence émotionnelle, jugement et prise de décision, souci du service client, négociation, flexibilité cognitive (capacité d’adaptation notamment),
[2] Julie Grèzes (INSERM- laboratoire des neurosciences cognitive de l’Ecole Normale Supérieure)
[3] Serge Tisseron, « Les pièges de l’empathie », Sciences Humaines, juin 2017
[4] Julie Grèzes (INSERM)